Les fractures de l’enfant

Introduction

    La traumatologie infantile est la première cause de décès, la première cause de séquelle et d’indemnisation du dommage corporel chez l’enfant. C’est aussi le premier motif d’hospitalisation de l’enfant.

    Les garçons présentent plus de fractures que les filles (60% contre 40%).

    Le risque de fracture durant l’enfance est de 40% pour les garçons et de 27% pour les filles.

    Les fractures de l'enfant sont différentes de celles de l’adulte pour de nombreuses raisons : anatomique, biomécanique et physiologique. Il en découle des difficultés diagnostiques, des indications thérapeutiques particulières et une évolution différente des fractures de l’adulte.

     

    I.Particularités de l’os de l’enfant

    1. - Structure et résistance mécanique

    La structure de l’os de l’enfant est différente de celle de l’adulte, l’os est plus chargé en eau. Il est aussi moins résistant et se fracture plus facilement.

    1. - Rôle du périoste
      • - C’est un allié précieux à respecter : (Figure 1)
      • - Il a une résistance mécanique importante. Il est beaucoup plus épais que chez l’adulte. Lors d’une fracture, il est souvent incomplètement rompu et permet de guider une réduction ou une stabilisation positionnelle du foyer de fracture.
      • - Il produit rapidement (en 2-3 semaines) un cal d’origine périosté (cal externe) qui noie la fracture d’un nuage osseux.
    1. - Le cartilage de croissance : (Figure 2)
      • - Il est présent aux deux extrémités des os longs.
      • - Il est mécaniquement faible. Il est peu résistant aux forces de traction axiale et de torsion.
      • - Beaucoup de fractures de l’enfant passent par ce cartilage de croissance.
      • - La complication la plus grave est la création d’un pont d’épiphysiodèse (destruction d’une partie ou de la totalité du cartilage) avec arrêt de croissance et perte de longueur et désaxation (jusqu’à plusieurs dizaines de degrés). Cette complication sera d’autant plus importante que l’enfant est jeune et que la fracture survient sur un des cartilages les plus actifs de l’organisme (prés du genou et loin du coude).
    2. II.Fractures particulières de l’enfant :

      - Certaines fractures sont analogues à celles de l’adulte : trait transversal, oblique long ou court, spiroïde, 3ème fragment.

      - D’autres sont propres à l’enfant : 

      • Fracture en motte de beurre: il s’agit d’une plicature plastique d’une corticale métaphysaire.
      • Fracture en bois vert: une corticale est conservée alors que l’autre est rompu en une multitude d’esquilles.
      • Déformation plastique : il n’y a pas de fracture mais une courbure plastique s’étendant sur toute la longueur de l’os (fibula, ulna)
      • Fracture sous périostée: l’os est fracturé mais le périoste est intact. Chez l’enfant jeune, ce périoste assure la solidité et les enfants peuvent parfois marcher malgré une fracture du fémur ou du tibia. Le diagnostic est porté sur une boiterie et une douleur à la percussion osseuse. La radiographie initiale est souvent normale. Parfois on devine un trait fracturaire. Ce n’est que 15 jours à 3 semaines plus tard qu’un cal osseux apparaîtra prouvant ainsi l’existence de cette fracture sous périostée.

       

      • Fracture touchant le cartilage de croissanceLes fractures décollements épiphysaires.

      La classification de Salter et Harris permet de classer ces fractures et de donner dès l’accident un pronostic sur la croissance résiduelle.

      • Type 1 : Décollement épiphysaire pur. Le pronostic de croissance est bon.
      • Type 2 : Le trait de fracture emprunte le cartilage de croissance sauf à une extrémité où il remonte en zone métaphysaire. Le pronostic de croissance est habituellement bon.
      • Type 3 : Le trait de fracture emprunte le cartilage de croissance sauf à une extrémité où il devient épiphysaire. Le pronostic de croissance est compromis surtout s’il persiste un défaut de réduction, même mineur.
      • Type 4 : Le trait de fracture sépare un fragment épiphyso-métaphysaire. Le pronostic est souvent mauvais, même si la réduction parait satisfaisante.
      • Type 5 : C'est un écrasement du cartilage de croissance par un mécanisme de compression. Il n'est identifiable que par sa complication : le pont d'épiphysiodèse. C'est un diagnostic a posteriori.

      III.Consolidation des fractures :

      - Le cal périphérique produit par le périoste est très volumineux et rapide chez l’enfant. Il englobe le foyer de fracture et permet la réalisation plus tardive du cal central.

      - Le remodelage du cal se fait par apposition périostée du côté de la concavité du cal vicieux et résorption du côté de la convexité.

      - les délais de consolidation sont de 6 à 8 semaines pour une fracture diaphysaire (fémur, jambe), 4 à 5 semaines pour une fracture métaphysaire ,3 semaines pour un décollement épiphysaire qui est très instable pendant quelques jours.

      1. Fractures à distance du cartilage conjugal

      - Le remodelage du cal et la croissance épiphysaire vont atténuer ou corriger les cals vicieux.

      La correction obéit à 5 règles :

      * La croissance résiduelle doit être importante (avant 6-8 ans).

      * La fracture doit être le plus proche possible de la métaphyse.

      * La fracture doit être proche d’une métaphyse très fertile (loin du coude ou près du genou).

      * Le mouvement de l’articulation voisine doit être dans le même plan que le déplacement de la fracture.

      * Le cal vicieux rotatoire (décalage) ne se corrige jamais.

      Il y a, par exemple, un fort potentiel de remodelage des fractures du quart inférieur des deux os de l’avant bras.

      - Une poussée de croissance post-fracturaire va atténuer ou corriger les inégalités par chevauchements.

      - Les séquelles les plus fréquentes après fracture chez l’enfant sont des inégalités de longueur des membres habituellement de quelques millimètres (proche du cm) mais parfois de plusieurs cm. La fracture stimule la croissance par hypervascularisation.

      1. Fractures intéressant les zones de croissance

      La complication la plus redoutable est le pont d’épiphysiodèse. Si le pont est central, il va entraîner un arrêt de croissance du cartilage de l’os atteint. Si le pont est périphérique, il va entraîner une déviation du cartilage de l’os atteint. Cette complication sera d’autant plus importante que l’enfant est jeune (il lui reste donc un fort potentiel de croissance) et que la fracture survient sur un des cartilages les plus actifs de l’organisme (près du genou et loin du coude).

      IV.Particularités de l’enfant :

      - Pas de complications thromboemboliques : Il est donc inutile jusqu’à la puberté de prescrire des anticoagulants. À partir de la puberté, il faut discuter cette thérapeutique mais ne pas la prescrire systématiquement comme chez l’adulte.

      - Peu de raideurs d'immobilisation. L’enfant récupère régulièrement une mobilité complète de ses articulations même après une immobilisation plâtrée prolongée en position non physiologique. Il n’y a donc pas d’indication de kinésithérapie en traumatologie infantile sauf cas exceptionnel.

      - Les séquelles sont souvent de révélation tardive. Les plus fréquentes et les plus graves sont liées à la croissance. Il faut toujours faire des contrôles tardifs et en fin de croissance. Il faut prévenir les parents et en expertise prévoir une réévaluation en fin de croissance.

      1. Clinique et paraclinique

      Il n’y a pas de spécificité clinique pour les fractures de l’enfant sauf quand l’enfant est petit et que l’interrogatoire est difficile voire impossible. Les principaux signes cliniques dépendent de la localisation de la fracture et de son déplacement. On peut observer des douleurs, une attitude antalgique, un œdème, une déformation, une ecchymose, etc. Il faut rechercher une ouverture cutanée, des troubles vasculaires ou neurologiques. Si le diagnostic est suspecté cliniquement, la confirmation sera radiographique. Il est presque toujours inutile de demander des radiographies comparatives (mais l’interprétation des radiographies de l’enfant demande une certaine expérience). Les radiographies comparatives (difficultés de prise de vue du côté fracturaire en raison de la douleur) ne seront presque jamais prise avec la même incidence que le côté sain ce qui va rendre la comparaison entre les deux côtés très difficile. Il y a peu ou pas de place pour d’autres imageries complémentaires sauf cas particulier (scintigraphie pour des fractures du col du fémur pour juger de la vitalité de la tête fémorale).

      1. Généralités thérapeutiques

      L’enfant n’est pas un adulte en miniature. Il ne faut pas appliquer les raisonnements et les techniques de la traumatologie de l’adulte.

      - Le but du traitement est d'assurer la meilleure réduction et la meilleure contention avec le minimum d'agression chirurgicale. Compte tenu des particularités de l'enfant, il faudra savoir parfois tolérer de petits défauts (à expliquer à la famille et au médecin traitant) plutôt que de proposer une technique plus invasive.

      - Il faut respecter les structures propres à l’enfant : périoste et cartilage de croissance. Les ostéosynthèses par plaques ou par clous sont interdites avant la fin de la croissance.

        A-Méthodes orthopédiques

      Les méthodes conservatrices sont l’immobilisation plâtrée avec ou sans réduction, la traction continue, et d’autres dispositifs particuliers. Il ne faut pas hésiter chez l’enfant à immobiliser l’articulation sus et sous-jacente puisque la récupération de la mobilité est de règle. L’utilisation du plâtre classique est souvent préférable aux résines synthétiques sur une fracture fraîche. Le traitement orthopédique par plâtres permet parfois d’éviter un abord chirurgical mais il nécessite une surveillance particulière. A court terme, il faut surveiller la coloration et la chaleur cutanée, la sensibilité et les points d’appui du plâtre (recherche de douleur et prévention d’escarres). A plus long terme, tout traitement orthopédique nécessite un suivi médical en consultation pour s’assurer qu’il n’existe pas de déplacement secondaire (radiographie systématique de contrôle à J + 8).

        B-Méthodes chirurgicales

      Les méthodes chirurgicales sont variées :

      • L’embrochage.
      • Le vissage percutané par vis creuse monté sur des broches.
      • L’embrochage centro-médullaire élastique stable (E.C.M.E.S.) est une méthode propre à la traumatologie infantile. Elle consiste à mettre des broches cintrées et béquillées dans le canal médullaire et obtenir ainsi une stabilité élastique du foyer. Toute force appliquée sur l’os provoque un déplacement avec retour élastique à l’état d’équilibre qui est l’état anatomique.
      • Les fixateurs externes (Orthofix, Ilizarov) sont utilisés comme chez l’adulte en cas de fracture ouverte ou de fractures multiples pour éviter un télescopage.

      V.COMPLICATIONS :

      1. Immédiates

      Comme pour l’adulte, il s’agit d’ouverture du foyer, de complications vasculaires ou nerveuses. Cependant, il faut savoir que l’enfant se défend mieux contre l’infection et qu’il récupère plus facilement d’une lésion nerveuse.

      1. Secondaires
        • Le syndrome de loges et sa forme séquellaire (syndrome de Volkmann) est une complication redoutable par les séquelles qu’elle laisse. Celui-ci entraîne une rétraction ischémique progressive des fléchisseurs. Le diagnostic repose sur des signes cliniques (douleurs, engourdissement, hypoesthésie mais conservation des pouls, difficulté à étendre les doigts) et sur la prise de pression des loges musculaires ou mieux son monitorage en cas de doute.
        • Les pseudarthroses sont exceptionnelles chez l’enfant. Il ne s’agit souvent que de simple retard de consolidation
        • Les cals vicieux obéissent à des règles de remodelage osseux.
        • L’infection sur matériel d’ostéosynthèse est rare et souvent de bon pronostic car l’ablation de la broche et une antibiothérapie sont souvent suffisantes pour obtenir la guérison.
      2. A distance
        • Les nécroses sont exceptionnelles et concernent surtout la tête fémorale (après fracture du col).
        • Les raccourcissements et la désaxation par atteinte du cartilage de croissance.
        • Les raideurs articulaires sont rares et généralement dues aux fractures articulaires.

      Conclusion :

       

      L’enfant n’est pas un adulte « miniature », les fractures des os chez l’enfant sont des lésions qui touchent des tissus en pleine croissance.

      L’os de l’enfant est particulier par : sa structure et résistance mécanique,  le périoste et son  Rôle dans la consolidation et le remodelage.

      Le cartilage de croissance et les conséquences graves qui peuvent résulter des traumatismes de ce dernier.

      Le traitement est orthopédique dans la majorité des fractures.